Chigozie Obioma nous parle de son ouvrage « Les pêcheurs »
À seulement 29 ans, l’écrivain nigérian se retrouve propulsé sur le devant de la scène littéraire internationale depuis que son roman “Les Pêcheurs” a figuré sur la liste finale du prestigieux Man Power Prize. My Afro’ Week a eu l’opportunité de s’entretenir avec l’auteur de passage à Paris.
Présentation de Chigozie Obioma : Né dans une famille de douze enfants, Chigozie Obioma fait des études supérieures à Chypre, où il obtient une bourse et y devient enseignant. Les Pêcheurs est son premier roman. Une année après la publication de l’ouvrage, il part aux États-Unis où il reçoit des cours de Creative Writing à l’université du Michigan. Aujourd’hui, il enseigne la littérature africaine à l’université du Nebraska. En 2015, il est lauréat du « Prix Booker« , pour ce premier roman obtient également « le prix du premier roman » du Guardian et le « prix des nouvelles voix Afrique et Moyen-Orient » du Financial Times.
Entretien :
MAW: Pourriez-vous nous parler un peu de vous. Où avez-vous vécu et qu’avez-vous fait avant de publier ce premier roman ?
Chigozie O: J’ai grandi à Akure, à l’ouest du Nigéria, lieu où est placé le roman. C’est une région Yoruba, culturellement riche et assez grande, capital de l’état d’Ondo. La ville devient l’un des personnages du livre « Les Pêcheurs ». Benjamin détient une carte qui représente assez fidèlement la ville dans les années 90; leste, quoique chaotique et pleine de vie.
J’ai été scolarisé, bien que j’écrive depuis que l’âge de 9 ans à peu près, et que j’ai terminé mon premier roman lorsque j’avais 12 ans. J’ai un Master en littérature anglaise et un autre en écriture créative. J’ai travaillé comme charpentier pour des jobs d’été, comme assistant de bureau, sans doute que vous aussi. J’occupais un poste d’enseignant – chercheur à l’Université du Michigan l’année dernière, lors de la parution de mon livre.
MAW: Les Pêcheurs a été publié dans 26 pays et il a été nominé pour le Man Booker Prize. Que pensez-vous de la diffusion et la réception de la littérature d’Afrique ?
Chigozie O: Je pense que parler de littérature africaine comme un tout est trop général. Mais je dirais que l’accueil des travaux littéraires dépend de la manière dont l’auteur réussit à faire ce pourquoi ils étaient prévus mais aussi de l’attrait pour ce travail de la part du grand public.
Les meilleurs oeuvres artistiques sont celles dont l’universalité se traduit aussi dans le milieu personnel. Selon moi, plusieurs travaux de la littérature africaine sont loin de cela. Les écrivains semblent se saisir du poids de choses sans importance, comme le militantisme, l’écriture contre l’Occident et toute sorte d’inutilités que Ben Okri a nommé “la tyrannie mentale”. C’est cela qui – comme il l’a dit – a empêché une forme de “grandeur”.
MAW: Comment a-t-il été accueilli au Nigéria et sur le continent ?
Chigozie O: Très bien. Il y a eu de puissants retours de la part d’auteurs africains, dans les médias internationaux ou ceux du Nigéria. Deux “reviews” écrites par un africain avaient prédit que le livre obtiendrait le prix Booker, ce qui était étonnant, mais cela s’est pourtant produit. De plus, cela faisait 25 ans qu’un auteur nigérian n’a pas été parmi les candidats sélectionnés; la joie fut si grande lorsque le livre a été nominé que cela a été écrasant.
Evidemment, il y a eu des critiques, venant pour la plupart des élites qui se sont sentis insulté par la réalité et qui souhaitaient qu’une certaine narration donnée sorte d’Afrique. Mais leur plainte n’est pas dirigé exclusivement contre mon livre. Ils râlent à cause des livres qui traitent de la pauvreté, alors que c’est la réalité de presque toute l’Afrique.
Ils fulminent contre une écriture faite pour l’Occident quand la pauvreté, la corruption, l’incompétence ont contribué à l’instauration de l’industrie de l’édition par exemple, inexistante ou impossible. Mais ce sont eux le grand problème de la littérature africaine, ces élites d’internet. Ce sont eux qui font la promotion de “la tyrannie mentale” mentionnée plus tôt; et j’en suis désolé pour les nombreux écrivains montants qui se sont laissés guider ou influencer par cette horde.
MAW: Votre roman n’est pas seulement un roman sur la prophétie et la violence mais aussi sur la métamorphose, la division d’une famille, la fraternité… Quelles sont vos influences et vos modèles en Littérature ?
Chigozie O: Je suis influencé par un éventail d’écrivains catholiques. Et parmi eux, il y a Amos Tutuola, Homer, Aeschylus, Chinua Achebe, William Shakespeare, Vladimir Nabokov, Thomas Hardy, Cormac McCarthy et bien d’autres encore. J’ai de l’estime pour les auteurs mythiques et pour ceux qui ont conçus des oeuvres tragiques de fiction, et poésie.
MAW: Ikenna, l’ainé des quatre frères prend le pouvoir après le départ de son père et c’est au moment où il se fait héritier du pouvoir que l’unité de la famille se brise. Est-ce qu’on peut dire que le pouvoir est trop lourd à porter ?
Chigozie O: De plusieurs façons, oui. Il essaie d’assumer ce rôle et il y serait sans doute parvenu, compte tenu de la dévotion de ses frères, si Abulu n’était pas entré dans leur vie, au firmament de celle-ci et s’il ne lui avait pas fait perdre l’esprit, à cause de la peur.
MAW: Le Nigéria est sans doute en Afrique l’un des pays les plus puissants économiquement et culturellement parlant. Des jeunes auteurs, artistes, réalisateurs et chanteurs émergent. Comment expliquez-vous la visibilité de la culture Nigériane ?
Chigozie O: Non, le Nigéria n’est pas l’un des pays “les plus puissants” en terme d’économie. Dans les faits, il est devenu assez pauvre. La meilleure façon d’expliquer la visibilité de la culture nigériane, particulièrement en littérature, est par sa taille. Nous sommes le 6ème plus grand pays en terme de population dans le monde, et il est dit que 1/4 des Noirs sont nigérians.
Il serait donc inévitable que nous ayons autant de personnes créant ou produisant. Comme en Amérique et en Inde. La population et bien sûr l’avantage de l’anglais. Je ne pense pas qu’un don particulier ait été remis aux Nigérians. Ca serait de l’exagération.
MAW: Vous vivez et enseignez le creative writing aux Etats-Unis. Pensez-vous que les jeunes du Nigéria pourraient en bénéficier ?
Chigozie O: Le creative writing est une bonne chose, qui fonctionne pour les Etats-Unis, mais je ne pense pas que cela fonctionnerait en dehors du contexte socio-culturel américain. Je ne recommanderais pas l’ouverture de ce type d’école au Nigéria. Je pense que nous devrions réformer le système éducatif. Faire lire des livres aux enfants dès le plus jeune âge et améliorer la littérature nationale pour englober les oeuvres que produisent des auteurs à travers le monde. Cela leur donnerait suffisamment de matière pour créer à leur tour.
MAW: Merci d’avoir répondu à nos questions. Les pécheurs est un livre qu’on recommande vivement. Vous travaillez déjà sur votre prochain roman ? On est impatient de vous lire encore !
Chigozie O: Merci à vous pour cette interview, et en effet, le second roman est bel et bien en route.
Une interview réalisée par Yancouba Diémé, pour My Afro’ Week.
Traduction: Danielle Mav